Quelques mensonges sur la guerre de Libye


Thierry Meyssan, qui soutient l’insurrection contre le régime de Mouammar Kadhafi, s’oppose pourtant à la résolution 1973 et à la guerre. Dans des articles précédents, il a montré les objectifs impérialistes de cette opération. Ici, il revient sur les principaux mensonges de la propagande atlantiste.


Hillary Clinton, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, lors du sommet de Paris pour la Libye. On dit que la première victime d’une guerre, c’est la vérité. Les opérations militaires en Libye et la résolution 1973 qui lui sert de base juridique ne dérogent pas à la règle. Elles sont présentées au public comme une nécessité pour protéger les populations civiles victimes de la répression aveugle du colonel Kadhafi. Elles ont en réalité des buts impérialistes classiques. Voici quelques éléments de clarification.
Crimes contre l’humanité Pour noircir le tableau, la presse atlantiste a fait croire que les centaines de milliers de personnes qui fuyaient la Libye cherchaient à échapper à un massacre. Des agences de presse ont évoqué des milliers de morts et parlé de « crime contre l’humanité ». La résolution 1970 a saisi la Cour pénale internationale de possibles « attaques systématiques ou généralisées dirigées contre la population civile ».
En réalité, le conflit libyen peut se lire à la fois en termes politiques et en termes tribaux. Les travailleurs immigrés en ont été les premières victimes. Ils ont été brutalement contraints au départ. Les combats entre loyalistes et insurgés ont été certes meurtriers, mais pas dans les proportions annoncées. Il n’y a jamais eu de répression systématique contre des populations civiles.
Soutien au « printemps arabe » Lors de son discours au Conseil de sécurité, le ministre français des Affaires étrangères Alain Juppé a fait l’éloge du « printemps arabe » en général et de l’insurrection libyenne en particulier.
Ce discours lyrique masquait de noires intentions : il n’a pas dit un mot sur la répression sanglante au Yémen et à Bahreïn, tandis qu’il a loué le roi Mohammed VI du Maroc comme étant un de ces militants révolutionnaires [1]. Ce faisant, il a contribué à renforcer l’image désastreuse de la France qui s’est installée dans le monde arabe avec la présidence Sarkozy.
Soutien de l’Union africaine et de la Ligue arabe Depuis le début des événements, la France, le Royaume-Uni et les États-Unis ne cessent d’affirmer que cette guerre n’est pas occidentale (encore que le ministre français de l’Intérieur, Claude Guéant, a évoqué une « croisade » de Nicolas Sarkozy [2]. Ils mettent donc en avant le soutien dont ils disposeraient de la part de l’Union africaine et de la Ligue arabe.
En réalité, l’Union africaine a condamné la répression et affirmé la légitimité des revendications démocratiques, mais s’est toujours opposée à une intervention étrangère armée [3]. Quant à la Ligue arabe, elle rassemble principalement des régimes menacés de révolutions identiques. Ceux-ci ont soutenu le principe de la contre-révolution occidentale —certains y participent même à Bahreïn— , mais ils ne peuvent aller jusqu’au soutien à une véritable guerre occidentale sans accélérer les mouvements de contestation interne susceptibles de les renverser.
Reconnaissance du CNLT Il existe trois zones insurgées en Libye. Un Conseil national de transition s’est constitué à Benghazi. Il a fusionné avec un Gouvernement provisoire mis en place par le ministre de la Justice de Kadhafi qui a rejoint les insurgés [4]. C’est cette personnalité qui, selon les autorités bulgares, avait organisé les tortures des infirmières bulgares et du médecin palestinien longuement détenus par le régime.
En reconnaissant ce CNLT et en blanchissant son nouveau président, la Coalition se choisit des interlocuteurs et les impose comme dirigeants aux insurgés. Cela leur permet d’écarter les révolutionnaires nassériens, communistes ou khomeinistes.
Il s’agit de prendre les devants et d’éviter ce qui s’est passé en Tunisie et en Égypte lorsque les Occidentaux imposèrent un gouvernement RCD sans Ben Ali, ou un gouvernement Suleiman sans Moubarak, mais que les révolutionnaires les renversèrent aussi.
Embargo sur les armes Si l’objectif était de protéger les populations, un embargo aurait été institué sur les mercenaires et les armes à destination du régime de Kadhafi. Au lieu de cela, il a été étendu aux insurgés de manière à prévenir leur possible victoire. Il s’agit bien de stopper la Révolution.
Zone d’exclusion aérienne Si l’objectif était de protéger les populations civiles, la zone d’exclusion aérienne se limiterait aux territoires insurgés (comme cela avait été fait avec le Kurdistan en Irak). C’est en fait le survol de tout le pays qui est interdit. De la sorte, la Coalition espère figer le rapport de forces au sol et diviser le pays en quatre (les trois zones insurgées et la zone loyaliste).
Cette partition de facto de la Libye doit être mise en perspective avec celles du Soudan et celle de la Côte d’Ivoire, premières étapes du « remodelage de l’Afrique ».
Gel des avoirs Si l’objectif était de protéger les populations civiles, seuls les avoirs personnels de la famille Kadhafi et des dignitaires du régime auraient été gelés pour les empêcher de contourner l’embargo sur les armes. Mais ce blocage a été étendu aux avoirs de l’État libyen. Or la Libye, riche État pétrolier, dispose d’un trésor considérable qu’il a partiellement placé dans la Banque du Sud, une institution de financement de projets de développement dans le Tiers-monde.
Comme l’a fait remarquer le président vénézuélien Hugo Chavez, ce blocage ne protégera pas les civils. Il vise à rétablir le monopole de la Banque mondiale et du FMI.
Coalition de volontaires Si l’objectif était de protéger les populations civiles, la résolution 1973 serait mise en œuvre par les Nations Unies. Au lieu de cela, les opérations militaires sont actuellement coordonnées par l’US Africom et devraient passer aux mains de l’OTAN [5]. C’est pourquoi la ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, s’est indigné de l’initiative française et a exigé des explications de l’OTAN.
De manière plus abrupte, le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a déclaré que la résolution est « viciée et inadéquate. Dès qu’on la lit, il devient évident quelle autorise n’importe qui à prendre des mesure contre un État souverain. Dans l’ensemble, cela me rappelle l’appel médiéval à la croisade », a t-il conclu [6].
par Thierry Meyssan*

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