Le printemps arabe sponsorisé par Washington ?
15/07/2011 à 22h17 - mis à jour le 16/07/2011 à 12h33 | 1230 vues | 0 réactions
Le 15 juin 2009, Twitter a repoussé une maintenance de ses services afin de ne pas gêner l'activité des contestataires du régime iranien, qui utilisent l'outil de micro-blogging pour passer outre la censure gouvernementale.
Mais deux jours plus tard, le New York Times a révèlé que c'est le gouvernement américain ,en la personne d'un haut-fonctionnaire du département d'Etat, Jared Cohen, qui a demandé à Twitter de décaler d'un jour cette opération de maintenance.
Barack Obama niait alors prendre partie en faveur des contestataires iraniens, et toute autre ingérence dans un pays souverain. Le coup de fil est mal tombé. Sa médiatisation aussi. L'administration américaine a d'abord refusé de l'admettre, puis sera forcée de reconnaître les faits.
Contourner les gouvernements Il s'agissait des prémisses de la plus ambitieuse évolution de la diplomatie américaine à l'heure d'Internet. Dans l'ombre de ce projet, deux hommes : Jared Cohen, (27 ans) et Alec Ross (39 ans), conseiller spécial d'Hillary Clinton et gourou des réseaux sociaux pendant la campagne du candidat Barack Obama.
Finie la diplomatie traditionnelle consistant à parler de gouvernement à gouvernement, la diplomatie du XXIe siècle consiste à donner plus de pouvoir aux peuples pour qu'ils puissent prendre en main leur destin – quitte à contourner parfois leurs représentants officiels, comme l'explique Alec Ross lui-même :
« La plupart du temps, j'évite de traiter avec les officiels. La diplomatie traditionnelle n'est plus suffisante. La diplomatie numérique consiste surtout à travailler avec les acteurs directs voire clandestins de la société. »
Ce projet a même un nom : le 21st Century Statecraft, et une date de naissance officielle (début 2010) qui correspond au discours de Hillary Clinton intitulé Internet Freedom. Mais c'est dès novembre 2008 que la première pierre du projet a réellement été posée, avec une initiative pour le moins originale.
Quand les e-activistes sont formés par les géants du Web
C'est à cette date que le State Department a annoncé la tenue d'un sommet inédit : l'Alliance for Youth Movement (AYM), prévu le mois suivant.
Ce sommet, organisé par Jared Cohen, avait clairement pour objectif de faire se rencontrer 17 organisations qui veulent changer les choses dans leur pays, et s'organisent pour cela sur les réseaux sociaux, et des entreprises du secteur privé, qui sont aussi sponsors de l'événement : Facebook, MTV, Howcast, Youtube, AT&T, etc. L'ordre du jour du sommet ne laisse la place à aucune ambiguïté :
- Comment surfer anonymement sur le Web ? ;
- Comment agir sur Facebook en toute sécurité ? ;
- Comment bloguer pour le changement pour les débutants ; etc.
Mais à l'étranger, du côté des autorités, personne n'est vraiment dupe… Dans un câble diplomatique confidentiel, rendu publique par Wikileaks, on apprend que c'est justement à leur retour du sommet que les représentants du Shabah 6 of April ont été arrêtés par la police égyptienne, qui a confisqué leurs documents et notes personnelles. Difficile d'imaginer que les autorités égyptiennes n'aient pas compris l'objectif de ce voyage aux États-Unis…
Attaquer Internet, c'est attaquer Washington Mais sans accès à Internet, ces encouragements de la société civile / dissidence sur le Web risqueraient d'être vains. La défense de la liberté d'accès au réseau s'intègre donc à la diplomatie américaine. L'angle d'attaque du département d'Etat est de faire valoir que toute atteinte à la liberté d'accès à Internet est une attaque contre les États-Unis…
Alec Ross a affiché un ton très ferme sur ces enjeux :
« Quand un État coupe Internet, il s'attaque aux États-Unis ? Oui, il attaque un réseau global que les États-Unis protègent au nom de la liberté et nous riposterons à chaque attaque. »
Parfois la réponse est purement technologique. Quand l'Egypte bloque l'accès à Internet, Twitter et Google s'associent pour créer Twitter's Speak2Tweet, un service qui permet de Tweeter via des messages vocaux. Autre projet : l'Internet fantôme, qui consiste à bâtir des réseaux de téléphonie et Internet parallèles échappant au contrôle des gouvernements dictatoriaux et à la censure, projet jusque-là confidentiel, financé par le State Department à hauteur de 2 millions de dollars et révélé par le New York Times en juin 2011.
La e-diplomatie est née Cette politique peut être délicate diplomatiquement : face au ministre des télécommunications du royaume de Bahreïn, Alec Ross a refroidi les ardeurs de son interlocuteur (câble Wikileaks), qui exprimait son enthousiasme à l'idée de voir Google installer un datacenter dans son pays. En effet, Google n'accepte pas de s'installer dans les pays où la liberté d'accès à Internet n'est pas garantie. La messe est dite…
La e-diplomatie est là : la proximité entre gouvernement américain et réseaux sociaux est à prendre en compte dans l'analyse qu'on pourra faire des révolutions arabes.
Non pas que ce soient les États-Unis ou les géants du Web qui aient mis les manifestants dans la rue. Mais désormais, dans l'Amérique de 2011, nul doute que nul ne connaît mieux le pouvoir des réseaux sociaux pour promouvoir la démocratie que le département d'Etat.
Les États-Unis ne viennent-ils pas de gagner sous nos yeux deux guerres, qu'ils n'ont pas menées ?
Par John Toutain
► Article initial à retrouver dans son intégralité sur le site Woosh.ma
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